E) La Perspective

La perspective, du latin perspectum « voir à travers », est la science qui a pour objet la représentation des corps selon l'aspect que l'éloignement ou la position leur donnent.
La perspective mathématique fournit sur une surface, en général un plan vertical, un dessin suggérant un objet de l'espace tridimensionnel.
La perspective conique où les droites parallèles sur l'objet deviennent concourantes sur le dessin, est une projection dans laquelle toutes les droites projetantes concourent en un point : l'oeil de l'observateur. La perspective cavalière correspond au cas où l'oeil de l'observateur est à l'infini ; les droites parallèles restent alors parallèles dans le plan de projection.
De diverses civilisations nous restent des oeuvres montrant l'utilisation d'un système de perspective (en général non formalisé) : certaines peintures préhistoriques, les oeuvres des Romains à Pompéï, celles de la peinture byzantine...
Au XVème siècle, la perspective devient théorique suite aux travaux de Piero della Francesca, Alberti, et d'autres ; ainsi Jean Fouquet dont les compositions sont basées sur des éléments géométriques comme le nombre d'or et les polygones réguliers (Fig 1).


 
 (Fig. 1) Couronnement de Louis VI le Gros - Jean Fouquet (Enluminure vers 1460)

Piero della Francesca, mort en 1492, peintre, mathématicien italien réputé comme géomètre est reconnu par Luca Pacioli comme maître de la perspective. Un ouvrage traitant de la perspective et des cinq corps réguliers nous est parvenu. Il a collaboré avec Guidobaldo d'Urbino qui apparaît avec Luca Pacioli dans le tableau peint par Jacopo de Barberi de 1495 (Fig 2).

(Fig. 2) La Cité idéale à Urbino 1475
attribuée à Piero della Francesca et aussi à Francisco di Giorgio Martini

Dans un dessin en perspective conique, on ne représente qu'une partie du demi-espace situé devant l'observateur. On a dépassé, très tôt, cette limitation avec la perspective curviligne qui permet d'atteindre un angle de vision de 180° (comme les objectifs grand-angles pour la photo).
On trouve dès le XVème siècle, des peintures utilisant cette technique dont Léonard de Vinci disait qu'elle rendait compte des distorsions en largeur, correspondant aux effets de la vision (Fig 3).

On peut rapprocher le développement de la perspective à la Renaissance, de l'idée, en ces moments, que c'est l'homme, comme l'oeil du peintre, qui se trouve au centre de l'Univers (Fig 4 ci-dessous).


Suite à ses deux voyages à Venise, Dürer, désormais passionné par les mathématiques, montre sa maitrise de la nouvelle théorie de la perspective par exemple dans ses illustrations pour "La vie de la Vierge", série de 20 gravures sur bois (1505-1511) où la composition, la perspective et l'architecture suscitèrent l'admiration des connaisseurs.
Dürer inventa un nouveau perspectographe (instrument pour dessiner en perspective). Il est aussi à l'origine de la Géométrie descriptive, développée plus tard par Gaspard Monge.
Il envisageait la rédaction d'un ouvrage sur les applications des mathématiques dans l'Art. Les éléments rassemblés pour ce travail se retrouvent dans d'autres traités, en particulier « Instructions pour la mesure à la règle et au compas » imprimé en 1525, où il développe une partie concernant la perspective et une théorie des ombres.


Dans la gravure Melencolia 1, le polyèdre est tracé avec soin au regard de la perspective comme aussi l'élément d'architecture à droite mais il en va autrement pour l'échelle. Telle qu'elle apparaît, on pense de suite à l'échelle de Jacob (Genèse). Elle est aussi appuyée sur la terre et son sommet qui sort de la gravure suggère la montée au ciel. Elle est d'une autre nature, elle ne rentre pas dans la structure perspective : c'est l'échelle des philosophes.

Dans la gravure, le polyèdre est positionné de façon à ce que l'horizon de mer corresponde à l'horizon perspectif qui est aussi celui de la corniche de la construction représentée à droite.